Waraok - fanfare tribale médiévale

 

 

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La Veuze à travers les livres

 

Article de Yves Guibé paru dans le n°32 de "Musique Bretonne" - décembre 1982.
Reproduit avec l'aimable autorisation de Dastum.

C'est à la suite d'une rencontre avec Robert Le Moigne, dont l'action en faveur de la veuze a largement contribué à la renaissance de l'instrument que celui-ci me demanda de compléter ses travaux sur le terrain par des recherches en bibliothèque. L'objectif était de retrouver la trace de l'instrument, son contexte, son extension, ses sonneurs... dans des écrits remontant plus loin que la mémoire des gens. La quête n'a pas été vaine puisque sur près de quatre vingt titres consultés, dix d'entre eux nous font revivre l'instrument. On ne saurait aller plus loin sans présenter la veuze. Alors laissons parler ces auteurs passés tout imprégnés de culture classique dont le charme mais aussi les préjugés transparaissent bien dans ce texte :

" Les habitants de nos campagnes chantent peu, et leurs chants se traînent en accent plaintifs ; leur conversation est aussi lente, circonspecte, sans vivacité, leurs jeux sont sans mouvement, sans folie; leurs danses sans grâces, peu variées ressemblent plutôt à des exercices de fatigue qu'à des délassements enjoués. Ils n'emploient qu'un seul instrument qu'on croirait plutôt appartenir aux montagnes d'Écosse qu'à l'un des beaux pays de la France. Trois chalumeaux sont adaptés à une peau de mouton apprêtée en forme de ballon : le plus grand se termine par un pavillon qui dépasse l'épaule gauche du joueur, il est armé d'une grosse anche enfermée dans la peau ; l'autre aavec son anche également cachée se termine en flûte et est percé de six trous très rapprochés. Le premier forme un bourdon monotone qui accompagne continuellement les modulations fort peu étendues du second. Le troisième chalumeau est placé à portée de la bouche. Quand le ballon est enflé, l'art consiste à ménager l'air par une pression du coude mesurée, de sorte que, sans interrompre le son, le coryphée puisse reprendre haleine. Cette musette, demi sauvage, suffit à toutes nos fêtes, à tous nos plaisirs : elle dirige ces courses nocturnes de jeunes gens qui ne crient plus, au Gui l'an neuf ! mais parcourent encore les villages à l'instant où le soleil entre dans le taureau, elle anime, elle exalte, elle enchante nos assemblées et nos foires , elle seule accompagne ces noces tumultueuses où paraissent quelquefois plusieurs centaines de convives ".

Le nom de vèze est sans doute très ancien. Kinsky (9) propose une étymologie dérivant du latin versica (vessie). Rabelais parle "des vizes bousines et cornemuses" qui sonnèrent harmonieusement lorsque la reine des pays de Lanternois "eut commencé un branle double". Trebuqc (7, 10) rappelle que le roi Louis XI, au Plessis des Tours, charmait ses loisirs en se faisant jouer, par des bergers du Poitou, des airs de cornemuses, et affirme par ailleurs qu'au Moyen-Age, le hautbois, qui passait pour "un instrument grossier et rauque, percé de huit trous" seulement et sans clef, c'est le tuyau de notre vèze vendéenne".

La veuze, souvent orthographiée vèze (réf. 1, 4, 5, 6, 7), et localement appelé biniou (2), est attestée depuis la fin du XVIIIème siècle dans les départements de Loire Inférieure (2, 3, 4, 5) et de Vendée (1, 6, 7, 10). "Dans le Larousse, la vèze est le biniou poitevin"(6).

Les textes retrouvés nous situent toujours la veuze dans un milieu de réjouissances populaires :
"... Quand les foires succèdent au dimanche ou à quelques fêtes patronales, elles sont précédées d'assemblées (c'est ce que l'on appelle pardons dans la Basse Bretagne). Ces jours sont ordinairement consacrés à quelques dévotions particulières et aux plaisirs de cabaret. Des chanteurs de miracle, des charlatans, des marchands de comestible, des merciers, des joueurs de cornemuse, nommée vèze dans le pays, font le charme et l'agrément de ces assemblées ". (5)

Ou plus simplement : Commune de Brains :
"... Dans l'hiver, les dimanches soirs, la jeunesse se réunit pour danser dans le village, se trouvent deux vezons fameux. Ces assemblées seraient innocentes, si des étrangers n'y portaient quelquefois le trouble... " (4)

Ou encore à l'occasion de fêtes rituelles telles que la cérémonie du "Cheval Mallet" à Saint Lumine de Coutais dont la description (5 repris dans 4)
a été publiée dans Ar Soner N.210 (1973).

N'oublions pas les "inaugurations" d'aires neuves (2) ; mais c'est à l'occasion des mariages que la veuze fait l'objet du plus grand nombre de citations (1, 2, 3, 4, 5, 6, 7, 10).
Tout mariage commence par l'annonce au village, puis par un cortège pour se rendre à l'église, parfois via la mairie (5), mené par un vezou qui pour la circonstance s'est endimanché, lui et sa veuze :

Ainsi en Vendée :
" Les sons aigres et le sourd murmure de la vèze l'annoncent au village que le ménétrier parcourt en sautant. Le cortège se rassemble et la vèze marche en tête pour le conduire à l'église ". (1)

A Noirmoutier :
"... La mariée sort de chez elle. Elle est suivie d'un interminable cortège endimanché, et tout le monde chante à pleine voix, la vieille chanson locale, que rythme sur sa veuze enrubannée le vezou en chapeau tremblon qui ouvre la marche... " (en route, les occasions de s'arrêter auprès de connaissances sont nombreuses). "Le vezou d'un appel de son instrument rallie son monde et l'on repart" (6)

En Vendée encore :
" Les invités se rendent chez la future, qui leur distribue les livrées : des rubans de différentes couleurs que les jeunes filles attachent à leur ceinture, les jeunes gens à leur chapeau ou au côté gauche de leur veston "... "Le cortège se forme pour se rendre à l'église. Le sonneur est en tête, jouant sur la vèze, ornée de rubans blancs, verts et rouges les plus beaux airs de son répertoire". (7)
(Après la messe, le cortège reprend au son de la vèze)
" Dès que les achats (la vaisselle) sont terminés, le cortège se reforme, la bande joyeuse aux sons de la vèze, des chansons bruyantes, des gais propos, parcourt les rues au milieu des curieux, surtout des curieuses et se promène dans la campagne en évitant les petits sentiers : ils porteraient malheur. Sur la route des paysans tirent des coups de fusil en l'honneur des héros du jour. On répond à cette politesse par une invitation. Nos villageois embrassent la mariée et prennent place dans le cortège.
" La noce arrive enfin devant la maison où le banquet a été dressé " (10) (après les agapes, la danse (re)commence au son de l'instrument)
" Tout à coup la vèze et des chansons énergiquement rythmées se font entendre. C'est le moment d'entrer en danse" (10)

Que dansait-on ?

En Vendée :
" Des rondes immenses, de rapides courantes mêlées de bonds prodigieux et le pichefrit national" (1)

A Guérande :
" Les paysans et les paludiers ont le même langage, à l'accent près, les mêmes jeux (la boule et la galoche), les mêmes danses (le rond, le demi rond, et le bal croisé) au son de la cornemuse et du tambourin"... (Et pourtant, ils ne se mêlent pas) (4)

Ou encore :
" Avez-vous vu, aux jours de noces, sur la place de Guérande ou d'Herbignac, cette gracieuse danse locale appelée bal ? la ronde se développe capricieuse et légère, au son du biniou... " (2)

Ou encore :
" Chez les paludiers la cérémonie du mariage est accompagnée d'usages assez singuliers... " (chacun des deux partis dîne séparément)... Après le repas, les deux familles se réunissent de nouveau et l'on danse toute la soirée au son de la vèze. La nuit venue, on conduit les époux à leur demeure... " (4)

Nous avons vu le joueur de cornemuse nommé tantôt ménétrier souvent vezou, parfois vezon, ici c'est Chevalier le vezour qui nous est longuement présenté :
" Arrêtons nous un instant pour contempler cette originale physionomie - aujourd'hui disparue - du musicien de village.
" En Vendée, c'est le vézour.
" La vèze, qui sous ses doigts chante, pleure, rit, est une énorme vessie de cuir garnie de trois écrous en buis, auxquels se vissent les trois tuyaux de bois : l'un portant 1 anche, l'autre plus long, c'est le bourdon (bordon) et le troisième assez court servant à gonfler la vessie.
" Le vézour joue aussi de la pibole, cette flûte en buis dont il est souvent question dans les vieux Noëls, et du hautbois, c'est à dire du tuyau de la vèze.
" Auguste Barrau, a consacré des pages vécues aux ménétriers et chansonniers de son pays.
Il vous présentera lui-même Chevalier, le vézour :
" La pibole a vécu, la vèze agonise. L'accordéon, importation allemande ou italienne, envahit jusqu'à nos campagnes.
" Cela a tué ceci et c'est bien dommage, car l'originalité de nos fêtes villageoises est gravement compromise. Dans les mains de nos paysans l'accordéon est bête ; il ne dit rien et mâchonne toujours la même gamme de sons qu'il dénature. Je ne le crois pas susceptible de rendre la mélancolie étrange qui attriste une partie des compositions vendéennes. L'accompagnement grave de la vèze, au contraire, convient parfaitement à ces mélodies lentes, parfois pleines d'un charme naïvement attachant qui s'en vont déroulant leur ruban mélodique sur les ailes de quelques notes.

" Demandez plutôt à Chevalier, un artiste en son genre et le meilleur "sonneur de vèze" de toute la contrée. Je vais en quelques lignes, tracer sa bibliographie.
" Chevalier, né à Challans, a aujourd'hui soixante ans. Fils de journaliers, il exerce depuis son enfance la profession de ses parents. Il a toujours eu infiniment de goût pour la musique, et, dès qu'il posséda l'argent nécessaire, il s'empressa de faire l'emplette d'une pibole qu'il manoeuvra en peu de temps avec une certaine habileté - de la pibole il passa au hautbois, de ce dernier à la vèze.
" Alors commença sa réputation.
" Pas une noce qui ne tint à l'honneur de le posséder comme musicien. Il est vrai qu'il conduisait les époux et leurs invités d'une façon remarquable, battant des entrechats, exécutant des moulinets au devant du cortège, grave et digne, jouant et nuançant avec énormément de goût, improvisant lorsque son répertoire était épuisé.
" Il a formé quelques élèves : Ténard de Logerie, Gormier et Mornel entre autres, mais jamais ils n'auront la pureté de son ni la virtuosité de leur maître.

La vèze est maintenant pendue à un clou, dédaignée par les couples qui lui préfèrent le, geignements et les plaintes idiotes des accordéons qui sont absolument incapables de dire le branle suivant . (10)

Trebucq n'est pas le seul à déplorer l'abandon de la veuze au profit de l'accordéon. Voyez aussi Troussier :
" Aujourd'hui, dans les rues tout au moins, on ne chante plus guère aux noces.

Le vezou est allé rejoindre les neiges d'antan ; on l'a remplacé par un accordéon jouant vaguement un air quelconque... " (6)

La veuze est-elle restée l'apanage des terriens ? la question est soulevée car il est assuré que au XVIIIème siècle des navires au long cours ont embarqué un cornemuseur : "... L'ancienne compagnie des Indes, et après elle la Marine Royale, pour conserver les marins si précieux que leur fournit la province, avaient toujours soin d'embarquer sur chaque vaisseau expédié des ports de Bretagne, un joueur de bignou largement rétribué, et dont les seules fonctions se bornaient à faire danser l'équipage. Par suite de cette sage précaution, l'État n'eut plus à regretter la perte énorme de marins qu'occasionnaient les voyages au long cours ". (8)

Rappelons nous que vers le Morbihan la veuze est dénommée biniou, et que par contre les textes qui mettent en scène le biniou (kozh) ne le montrent pratiquement jamais joué en solo. Avons-nous là une trace ancienne de la veuze ainsi que d'aucuns le prétendent ? Toute référence précise sur le sujet serait la bienvenue.

Les bibliothèques ne nous ont sûrement pas livré tous leurs trésors, mais leur recherche ressemble beaucoup à une filature policière ou aucun indice ne saurait être négligé. Toute information même fragmentaire pourra aider à la poursuite de cette étude et sera la bienvenue.

Yves Guibé
Féricy

Références bibliographiques

1. A. Hugo. La France pittoresque.
Département de la Vendée, page 222.

2. Gustave Blanchard.
De quelques usages anciens au Pays Guérandais.
Nantes. Imp. V. Forest et E. Grimaud, 1878, page 18.

3. J.B.C. Regnault Huet de Coetlizan.
Statistiques du département de la Loire Inférieure.
Paris, 1 mp. des sourds muets. AN X. pages 9 et 10.

4. A. de Saint Fargeau.
Histoire Nationale et Dictionnaire géographique de toutes les communes du département de Loire Inférieure.
Paris. Beaudoin Frères. 1829, pages 10, 46, 71, 79.

5. Peuchet et Chanlaire.
Description topographique et statistique de la France.
Paris, 1810. Département de la Loire Inférieure., pages 21,25,26.